"Paparala": un titre à succès et une chanson révélatrice.
" PAPARALA ", le succès fou d'une chanson à l'honneur des femmes commerçantes du secteur informel
DJ Tenda la nouvelle coqueluche des « mindialas ngoto » du marché Total. Les tribulations de la vie quotidienne de ces femmes vendeuses à la sauvette dans les périphéries du marché sont au cœur de la chanson « paparala », qui bat le pavé dans le monde musical du « Coupé Décalé » made in Congo.
Il est intéressant de dresser le portrait de ces femmes vendeuses plus connues sous l’appellation « les mindialas ngoto » et au singulier "mundiala ngoto". « Les mindjala Ngoto » sont des vendeuses dans les marchés parfois à la sauvette où à l’étale parfois à même le sol ce qui leur vaut à juste titre des critiques sur le plan sanitaire.
Sans aucun doute, le thème de la chanson est en soi un produit d'appel qui a conquis le public congolais. DJ Tenda, son auteur compositeur, a pris du poil de la bête à travers ce tube qui inonde les réseaux sociaux et les « ngandas ». Aucune fête ne se fait sans que cette chanson ne soit jouée et dansée par les convives.
Pour en mesurer la portée et mieux comprendre les raisons de ce succès, La Lettre du Pool s'est rapprochée de l'une de ces femmes du marché visiblement très touchée par l’inspiration du jeune chanteur.
Le témoignage de la soeur Angelique.
Le cas d’Angélique visiblement conquise par la chanson nous interpelle. Elle n’est pas l’exemple type d’un exode rural classique, mais victime d’un exode forcé pour faits d’une guerre sans nom caractérisée par des violences sans limites contre des paisibles populations obligées de quitter leurs terres pour trouver refuge ailleurs, loin des bruits de tirs à l'arme lourde. Débarquée de son petit village de Nzaza dans le district de Louingui dans le département du Pool, ou elle vivait avec son mari et ses deux enfants, elle est venue s’installer dans la capitale Brazzaville pour avoir la vie sauve.
De suite, elle est confrontée au revers de la médaille de l’illusion d’une vie meilleure dans la grande ville capitale. Dépourvue de tout et sans ressources car, pour les mêmes raisons, son mari avait perdu son activité agricole et ne pouvait trouver facilement un emploi. D’ailleurs, le couple avait vite compris qu’ils devaient se débrouiller par tout moyen pour survivre. Angélique et son mari s'étonnaient de ce que les nombreux parents et connaissances rencontrés à leur arrivée à Mavula étaient aussi dépourvus qu’eux et ne pouvaient leur venir en aide. Aux dires de leurs interlocuteurs, accéder à un emploi salarié était presque une utopie à Mavula, simplement parce qu’il n’en existait pas depuis longtemps. Angélique et son mari décidèrent de se lancer dans un petit commerce comme la plupart des déplacés arrivés avant eux. Le marché étant le dernier rempart de la débrouillardise.
C’est dans ce monde grouillant, majoritairement féminin, ou se côtoient, acheteurs, vendeuses, voleurs et racketeurs de toute sorte, que angélique décide de se faire une place. Un monde sans pitié, dans une société sans repère. Elle décide de faire comme les autres femmes qui ont choisi de se lever de bonne heure pour acheter la marchandise fraîchement arrivée des camions venants de l’intérieur du pays pour les revendre dans la journée.
Elle nous livre un témoignage émouvant d’un quotidien difficile.
- « le marché est devenu une véritable jungle, où on joue au chat et la souris avec les policiers véreux, les agents de la mairie et les voleurs. Nous sommes quotidiennement rackettées plusieurs fois dans la journée. C’est dur, il faut fuir dès qu’on les voit sinon ils vous prennent la marchandise et vous n’avez que vos yeux pour pleurer. Et les voleurs qui vous épient...
- D’autre part, les clients deviennent de plus en plus difficiles, ils marchandent au plus bas à tel point que notre bénéfice est mince.
- On nous critique à tort du fait que nous vendons notre marchandise à même le sol. Avoir une table dans un marché pour vendre, relève d’un parcours de combattant et on finit par abandonner. D’ailleurs, les clients préfèrent acheter dans les périphéries des marchés ; très peu pénètrent à l’intérieur. Malgré ces difficultés, je préfère vendre au marché pour gagner ma vie que de me prostituer»…
Revenons à la chanson « Paparâla » qui se traduit littéralement en langue « Lari »: faire le gros dos, frimer à tout va.
L’auteur compositeur relate l’histoire d’une femme au portrait de notre interviewée Angélique. Cette femme vendeuse «mundiala ngoto » surprend son mari en flagrant délit d’adultère dans le lit conjugal. Son mari a profité de son absence car elle sort tôt le matin pour ne rentrer qu’en fin de journée pour ses petites activités de vente qui lui permettent de gagner le petit revenu qui nourrit la famille. Sa déception est grande mais elle n’entend pas céder à la tentation de la séparation. Bien au contraire, elle tient à sauvegarder son foyer et pour cela se moque et met en garde l’amante de son mari. Elle la somme d’arrêter de perturber son foyer en se pavanant avec ce dernier et menace de lui jeter un mauvais sort...le message central à cette amante est qu’elle cesse de « paparâler ».
Cette chanson chantée par les « mindialas ngoto » accompagnées de la fanfare du « marché total» est vite devenue un best-seller. C’est tout le mérite de ce jeune artiste qui a eu l’idée géniale de mettre à contribution les concernées. Au-delà du rythme envoûtant qui puise dans le folklore de chez nous, cette chanson est un miroir qui traduit la triste réalité de ces citoyennes congolaises qui se battent chaque jour souvent sous un soleil accablant et parfois sous une pluie battante.
Le hic, c’est que ce succès qui serait une aubaine financière pour l’auteur compositeur sous d’autres cieux, est par contre peu porteur au Congo. Cette chanson devenue populaire risque de s’avérer malheureusement un mauvais souvenir pour notre jeune talent. Et, ce n’est pas nouveau de voir un artiste ne pas tirer profit de sa belle œuvre. Comme pour les plus anciens de nos musiciens de renom, ce dernier s’endormira sur son « sol » pour rappeler un adage bien connu du monde des spectacles. C’est bien cela la misère de nos artistes musiciens qui en majorité ne gagnent aucun sous de leur créativité en dehors de la notoriété dans le métier liée à un tube à succès.
DJ Tenda le conquérant de ces femmes courageuses qui se battent pour survivre avec dignité a eu le mérite de prendre leur parti.
A. Guy Mankessy
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